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"... une efflorescence de maisons d'édition et de revues..."
[...] Or cette tendance de fond [la réaction politique et culturelle anti-68] est contrecarrée depuis quelques années par les progrès de l'historiographie, qui ont donné de Mai 68 une tout autre image que celle d'un événement dont le message serait à rechercher dans les moeurs ou dans un effet de connivence générationnelle. Ce renouvellement s'accompagne d'un dynamisme de la pensée radicale, lequel se traduit à son tour par une efflorescence de maisons d'édition et de revues, parfois animées par de très jeunes gens. Depuis la chute du Mur de Berlin, l'extrême gauche se trouve en effet confrontée à un défi qui stimule sa productivité théorique : celui de reconstruire une critique du néolibéralisme après l'échec du communisme, tout en faisant l'économie de la violence. Sur ce point-là, la lutte à fleurets relativement mouchetés de Mai 68 peut servir de modèle alternatif. De même que les mouvements de libération collective des minorités, qui en sont plus ou moins issus, battent en brèche l'idée que le legs de 1968 puisse se réduire à l'émergence d'un néobourgeois individualiste pressé de « jouir sans entraves ».
Nul doute que ces noeuds-là stimulent les théoriciens de l'extrême gauche et suscitent de ce côté-là un bouillonnement. Il contraste avec l'ambiance crépusculaire qui semble s'être emparée de la réflexion libérale qui se réclame d'Aron et de Tocqueville. Alors qu'on voit des philosophes comme le Français Alain Badiou, les Italiens Antonio Negri ou Giorgio Agamben, l'Américain Michael Hardt ou le Slovène Slavoj Zizek constituer, parfois de façon brouillonne, une nouvelle constellation de philosophie politique critique, la tradition libérale en France s'est comme figée sur sa posture mélancolique ou décliniste. Quand elle n'est pas devenue franchement réactionnaire !
Nicolas Weill, extrait de "La pensée anti-Mai 68 s'épuise", in Le Monde du 26 avril 2008.